L'Equateur vire à gauche: la "révolution" de Rafael Correa accentue le reflux des Etats-Unis
Par Christian GALLOY, analyste politique
QUITO / MADRID (LatinReporters.com) - Le mot "révolution" chapeaute le "Plan de gouvernement" de l'économiste de gauche Rafael Correa, élu président de l'Equateur le 26 novembre. L'ambition est la "construction d'une souveraineté latino-américaine" libérée des Etats-Unis, comme le veut aussi la révolution bolivarienne menée au Venezuela par Hugo Chavez.
Grand, athlétique, 43 ans, professeur d'université et docteur en économie formé aux Etats-Unis et en Belgique (sa femme est belge), brièvement ministre de l'Economie et des Finances en 2005, Rafael Correa se dit chrétien de gauche et se réclame tant de la social-démocratie du Chili de Michelle Bachelet que de la révolution d'Hugo Chavez, dont il connaît la demeure familiale.
Après dépouillement de 97,29% des bulletins de vote, il obtenait au second tour de l'élection présidentielle 57,04% des suffrages (3.442.184 voix) contre 42,96% (2.592.639 voix) au milliardaire ultralibéral et pro-américain Alvaro Noboa. Ces chiffres ont permis au Tribunal suprême électoral équatorien de proclamer officiellement mardi la victoire de Rafael Correa.
Il recevra l'écharpe présidentielle le 15 janvier 2007, devenant le 8e président de l'Equateur ...en 10 ans! Vu la valse de ses prédécesseurs, aller jusqu'au bout de son mandat de quatre ans serait déjà une réussite.
Victoire politique d'Hugo Chavez
L'élection de Rafael Correa est une victoire politique pour le président vénézuélien Hugo Chavez. Ce dernier espère que l'Equateur suivra la mouvance "bolivarienne" qui unit déjà Cuba, le Venezuela, la Bolivie et peut-être bientôt aussi le Nicaragua, si le sandiniste Daniel Ortega, élu président le 5 novembre dernier, retrouvait ses vieux accents révolutionnaires qui se sont émoussés.
"Les Latino-Américains, nous sommes tous bolivariens" clame le Plan de gouvernement de la coalition Alianza Pais (Alliance Pays) de Rafael Correa, saluant ainsi plus qu'implicitement l'ambition d'Hugo Chavez de lutter pour l'unité sud-américaine comme le fit au 19e siècle, alors contre la domination espagnole, le libertador historique Simon Bolivar. Chavez dit avoir félicité par téléphone "ce jeune patriote équatorien" (Correa) après sa victoire. "Chavez est mon ami personnel, mais dans ma maison ce ne sont pas mes amis qui commandent" précise toutefois le vainqueur de la présidentielle.
A Washington, le porte-parole du Département d'Etat, Sean McCormack, a qualifié le processus électoral équatorien "d'assez transparent, libre et impartial". Il a assuré que les Etats-Unis sont disposés à collaborer avec l'exécutif issu de ces élections, quelle que soit son idéologie. Pendant la campagne électorale du premier tour, Rafael Correa avait qualifié George W. Bush de "président extrêmement lourdaud qui a fait grand tort à son pays et au monde".
A La Havane, le presse cubaine s'est félicitée de la victoire de Rafael Correa, l'assimilant à une nouvelle défaite des Etats-Unis en Amérique latine.
Le duel Bush-Chavez a marqué peu ou prou toutes les élections présidentielles convoquées depuis novembre 2005 dans onze pays latino-américains, y compris le Venezuela, qui réélira probablement Hugo Chavez le 3 décembre. Ce marathon électoral continental sans précédent devrait se conclure sur 4 victoires de la gauche radicale (en Bolivie, au Nicaragua, en Equateur et au Venezuela), 4 aussi de la social-démocratie ou de présidents qui la pratiquent sans nécessairement la revendiquer (au Chili, au Costa Rica, au Pérou et au Brésil) et 3 victoires de la droite libérale ou conservatrice (au Honduras, en Colombie et au Mexique).
Toutes tendances confondues, la gauche latino-américaine aura donc remporté (en incluant par anticipation le Venezuela) 8 des 11 dernières élections présidentielles. Elle gouverne par ailleurs aussi en Argentine, en Uruguay et à Cuba. Au total, la gauche dirige 11 des 19 pays latino-américains (ceux dont la langue officielle est l'espagnol, plus le Brésil).
Cette proportion confirme le reflux de l'influence politique des Etats-Unis sur leur propre continent. Pour peu, il aurait fallu parler de leur solitude si, le 2 juillet dernier, la gauche d'Andres Manuel Lopez Obrador avait obtenu l'infime 0,59% de voix qui lui manqua pour gouverner le Mexique. Les "gringos" paient dans leur ancienne arrière-cour le coût différé des dictatures militaires que Washington soutenait et le prix très actuel des dérapages de leur croisade antiterroriste mondiale.
Pour de grands projets économiques, la gauche latino-américaine se laisse courtiser par la Chine, le Japon, l'Union européenne et même la Russie, mais elle ne peut que rarement ignorer les multinationales nord-américaines. Un accord de libre-échange, en vigueur ou sur le point de l'être, lie les Etats-Unis à dix pays latino-américains, dont quatre gouvernés par diverses gauches, à savoir le Chili, le Costa Rica, le Pérou et le Nicaragua (où Daniel Ortega n'a nullement l'intention de dénoncer l'accord).
Lucio Gutierrez fut le premier "Chavez équatorien", mais...
Au second tour de la présidentielle, Rafael Correa avait obtenu l'appui de la Confédération de nationalités indigènes d'Equateur (CONAIE), dont le candidat, qui ne faisait pas l'unanimité parmi les siens, fut éliminé au premier tour. Un tiers des 13,9 millions d'Equatoriens sont amérindiens. Le rôle social des "peuples originaires" contre le "néolibéralisme déprédateur" est souligné dans le Plan de gouvernement de Rafel Correa. Depuis sa victoire, il en a confirmé les grands axes, des "révolutions" -nous en citons 3 sur 5- qui s'inscrivent dans une "révolution citoyenne" globale.
"RÉVOLUTION ÉCONOMIQUE" : développement basé sur l'économie nationale et son intégration à l'espace sud-américain; rejet d'un traité de libre-échange avec les Etats-Unis; renégociation des contrats avec les sociétés des secteurs de l'électricité, des télécommunications et surtout du pétrole (avec 540.000 barils quotidiens, l'Equateur est le 5e producteur latino-américain de pétrole brut); retour de l'Equateur au sein de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole, dont le Venezuela est actuellement l'unique membre latino-américain). La dollarisation de l'Equateur, dont la monnaie officielle est le dollar américain depuis 2000, ne sera toutefois pas abolie par crainte de soubresauts négatifs.
"RÉVOLUTION POUR LA DIGNITÉ ET LA SOUVERAINETÉ" : gestion souveraine de la dette extérieure (elle ne sera payée que si "elle n'affecte pas les priorités du développement national"); refus d'ingérences du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale dans la politique intérieure de l'Equateur; non renouvellement, à son échéance en 2009, de l'accord qui a cédé aux Etats-Unis l'usage de la base militaire aérienne de Manta, sur la côte équatorienne du Pacifique. (A une demi-heure de vol de la Colombie, dont le gouvernement combat avec l'aide américaine des narco-guérillas d'extrême gauche, la base implique indirectement, selon Rafael Correa, l'Equateur dans le conflit intérieur colombien).
"RÉVOLUTION CONSTITUTIONNELLE" : dès son investiture, le 15 janvier 2007, Rafael Correa saisira le Tribunal suprême électoral d'une demande de Consultation populaire (référendum) sur la convocation d'une Assemblée constituante qui élaborerait une nouvelle Constitution. L'objectif est de refondre les institutions comme l'a fait le Venezuela d'Hugo Chavez et comme tente de le faire la Bolivie d'Evo Morales.
Misant sur cette révolution institutionnelle, méprisant la particratie et n'ayant sans doute pas eu le temps de structurer un réseau d'intérêts suffisamment dense pour n'être entré en politique qu'en avril 2005, Rafael Correa et son Alianza Pais n'avaient pas présenté de candidats aux élections législatives concomitantes du premier tour de la présidentielle, le 15 octobre dernier. Non seulement le nouveau président n'aura donc aucun élu au Congrès (Parlement monocaméral de 100 députés), mais en outre la principale formation parlementaire sera constituée par les 28 législateurs du PRIAN (Parti rénovateur institutionnel d'action nationale), la formation d'Alvaro Noboa, l'adversaire de Rafael Correa au second tour de la présidentielle.
Dans ces conditions, le Congrès va-t-il collaborer avec un président qui veut étouffer "la particratie corrompue" et bouleverser les institutions, y compris le Congrès lui-même? Rien n'est moins sûr. L'aventure présidentielle de l'ex-officier putschiste Lucio Gutierrez, à la tête aujourd'hui de la seconde formation parlementaire (Société patriotique, 24 députés) avait été écourtée par le Congrès qui le destituait en avril 2005, deux ans et trois mois après son investiture.
Lors de son élection à la présidence, en novembre 2002, Lucio Gutierrez, qui eut l'audace de nommer trois Indiens ministres, était pourtant lui aussi surnommé "le [Hugo] Chavez équatorien".
LatinReporters.com est un collectif de journalistes qui analysent l'actualité latino-américaine et espagnole. Le texte de cet article peut être reproduit aux conditions explicitées sur le site www.latinreporters.com
Par Christian GALLOY, analyste politique
QUITO / MADRID (LatinReporters.com) - Le mot "révolution" chapeaute le "Plan de gouvernement" de l'économiste de gauche Rafael Correa, élu président de l'Equateur le 26 novembre. L'ambition est la "construction d'une souveraineté latino-américaine" libérée des Etats-Unis, comme le veut aussi la révolution bolivarienne menée au Venezuela par Hugo Chavez.
Grand, athlétique, 43 ans, professeur d'université et docteur en économie formé aux Etats-Unis et en Belgique (sa femme est belge), brièvement ministre de l'Economie et des Finances en 2005, Rafael Correa se dit chrétien de gauche et se réclame tant de la social-démocratie du Chili de Michelle Bachelet que de la révolution d'Hugo Chavez, dont il connaît la demeure familiale.
Après dépouillement de 97,29% des bulletins de vote, il obtenait au second tour de l'élection présidentielle 57,04% des suffrages (3.442.184 voix) contre 42,96% (2.592.639 voix) au milliardaire ultralibéral et pro-américain Alvaro Noboa. Ces chiffres ont permis au Tribunal suprême électoral équatorien de proclamer officiellement mardi la victoire de Rafael Correa.
Il recevra l'écharpe présidentielle le 15 janvier 2007, devenant le 8e président de l'Equateur ...en 10 ans! Vu la valse de ses prédécesseurs, aller jusqu'au bout de son mandat de quatre ans serait déjà une réussite.
Victoire politique d'Hugo Chavez
L'élection de Rafael Correa est une victoire politique pour le président vénézuélien Hugo Chavez. Ce dernier espère que l'Equateur suivra la mouvance "bolivarienne" qui unit déjà Cuba, le Venezuela, la Bolivie et peut-être bientôt aussi le Nicaragua, si le sandiniste Daniel Ortega, élu président le 5 novembre dernier, retrouvait ses vieux accents révolutionnaires qui se sont émoussés.
"Les Latino-Américains, nous sommes tous bolivariens" clame le Plan de gouvernement de la coalition Alianza Pais (Alliance Pays) de Rafael Correa, saluant ainsi plus qu'implicitement l'ambition d'Hugo Chavez de lutter pour l'unité sud-américaine comme le fit au 19e siècle, alors contre la domination espagnole, le libertador historique Simon Bolivar. Chavez dit avoir félicité par téléphone "ce jeune patriote équatorien" (Correa) après sa victoire. "Chavez est mon ami personnel, mais dans ma maison ce ne sont pas mes amis qui commandent" précise toutefois le vainqueur de la présidentielle.
A Washington, le porte-parole du Département d'Etat, Sean McCormack, a qualifié le processus électoral équatorien "d'assez transparent, libre et impartial". Il a assuré que les Etats-Unis sont disposés à collaborer avec l'exécutif issu de ces élections, quelle que soit son idéologie. Pendant la campagne électorale du premier tour, Rafael Correa avait qualifié George W. Bush de "président extrêmement lourdaud qui a fait grand tort à son pays et au monde".
A La Havane, le presse cubaine s'est félicitée de la victoire de Rafael Correa, l'assimilant à une nouvelle défaite des Etats-Unis en Amérique latine.
Le duel Bush-Chavez a marqué peu ou prou toutes les élections présidentielles convoquées depuis novembre 2005 dans onze pays latino-américains, y compris le Venezuela, qui réélira probablement Hugo Chavez le 3 décembre. Ce marathon électoral continental sans précédent devrait se conclure sur 4 victoires de la gauche radicale (en Bolivie, au Nicaragua, en Equateur et au Venezuela), 4 aussi de la social-démocratie ou de présidents qui la pratiquent sans nécessairement la revendiquer (au Chili, au Costa Rica, au Pérou et au Brésil) et 3 victoires de la droite libérale ou conservatrice (au Honduras, en Colombie et au Mexique).
Toutes tendances confondues, la gauche latino-américaine aura donc remporté (en incluant par anticipation le Venezuela) 8 des 11 dernières élections présidentielles. Elle gouverne par ailleurs aussi en Argentine, en Uruguay et à Cuba. Au total, la gauche dirige 11 des 19 pays latino-américains (ceux dont la langue officielle est l'espagnol, plus le Brésil).
Cette proportion confirme le reflux de l'influence politique des Etats-Unis sur leur propre continent. Pour peu, il aurait fallu parler de leur solitude si, le 2 juillet dernier, la gauche d'Andres Manuel Lopez Obrador avait obtenu l'infime 0,59% de voix qui lui manqua pour gouverner le Mexique. Les "gringos" paient dans leur ancienne arrière-cour le coût différé des dictatures militaires que Washington soutenait et le prix très actuel des dérapages de leur croisade antiterroriste mondiale.
Pour de grands projets économiques, la gauche latino-américaine se laisse courtiser par la Chine, le Japon, l'Union européenne et même la Russie, mais elle ne peut que rarement ignorer les multinationales nord-américaines. Un accord de libre-échange, en vigueur ou sur le point de l'être, lie les Etats-Unis à dix pays latino-américains, dont quatre gouvernés par diverses gauches, à savoir le Chili, le Costa Rica, le Pérou et le Nicaragua (où Daniel Ortega n'a nullement l'intention de dénoncer l'accord).
Lucio Gutierrez fut le premier "Chavez équatorien", mais...
Au second tour de la présidentielle, Rafael Correa avait obtenu l'appui de la Confédération de nationalités indigènes d'Equateur (CONAIE), dont le candidat, qui ne faisait pas l'unanimité parmi les siens, fut éliminé au premier tour. Un tiers des 13,9 millions d'Equatoriens sont amérindiens. Le rôle social des "peuples originaires" contre le "néolibéralisme déprédateur" est souligné dans le Plan de gouvernement de Rafel Correa. Depuis sa victoire, il en a confirmé les grands axes, des "révolutions" -nous en citons 3 sur 5- qui s'inscrivent dans une "révolution citoyenne" globale.
"RÉVOLUTION ÉCONOMIQUE" : développement basé sur l'économie nationale et son intégration à l'espace sud-américain; rejet d'un traité de libre-échange avec les Etats-Unis; renégociation des contrats avec les sociétés des secteurs de l'électricité, des télécommunications et surtout du pétrole (avec 540.000 barils quotidiens, l'Equateur est le 5e producteur latino-américain de pétrole brut); retour de l'Equateur au sein de l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole, dont le Venezuela est actuellement l'unique membre latino-américain). La dollarisation de l'Equateur, dont la monnaie officielle est le dollar américain depuis 2000, ne sera toutefois pas abolie par crainte de soubresauts négatifs.
"RÉVOLUTION POUR LA DIGNITÉ ET LA SOUVERAINETÉ" : gestion souveraine de la dette extérieure (elle ne sera payée que si "elle n'affecte pas les priorités du développement national"); refus d'ingérences du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale dans la politique intérieure de l'Equateur; non renouvellement, à son échéance en 2009, de l'accord qui a cédé aux Etats-Unis l'usage de la base militaire aérienne de Manta, sur la côte équatorienne du Pacifique. (A une demi-heure de vol de la Colombie, dont le gouvernement combat avec l'aide américaine des narco-guérillas d'extrême gauche, la base implique indirectement, selon Rafael Correa, l'Equateur dans le conflit intérieur colombien).
"RÉVOLUTION CONSTITUTIONNELLE" : dès son investiture, le 15 janvier 2007, Rafael Correa saisira le Tribunal suprême électoral d'une demande de Consultation populaire (référendum) sur la convocation d'une Assemblée constituante qui élaborerait une nouvelle Constitution. L'objectif est de refondre les institutions comme l'a fait le Venezuela d'Hugo Chavez et comme tente de le faire la Bolivie d'Evo Morales.
Misant sur cette révolution institutionnelle, méprisant la particratie et n'ayant sans doute pas eu le temps de structurer un réseau d'intérêts suffisamment dense pour n'être entré en politique qu'en avril 2005, Rafael Correa et son Alianza Pais n'avaient pas présenté de candidats aux élections législatives concomitantes du premier tour de la présidentielle, le 15 octobre dernier. Non seulement le nouveau président n'aura donc aucun élu au Congrès (Parlement monocaméral de 100 députés), mais en outre la principale formation parlementaire sera constituée par les 28 législateurs du PRIAN (Parti rénovateur institutionnel d'action nationale), la formation d'Alvaro Noboa, l'adversaire de Rafael Correa au second tour de la présidentielle.
Dans ces conditions, le Congrès va-t-il collaborer avec un président qui veut étouffer "la particratie corrompue" et bouleverser les institutions, y compris le Congrès lui-même? Rien n'est moins sûr. L'aventure présidentielle de l'ex-officier putschiste Lucio Gutierrez, à la tête aujourd'hui de la seconde formation parlementaire (Société patriotique, 24 députés) avait été écourtée par le Congrès qui le destituait en avril 2005, deux ans et trois mois après son investiture.
Lors de son élection à la présidence, en novembre 2002, Lucio Gutierrez, qui eut l'audace de nommer trois Indiens ministres, était pourtant lui aussi surnommé "le [Hugo] Chavez équatorien".
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